Arrivant au terme du débat public, le Collectif Pour le Triangle de Gonesse peut dresser un premier bilan de la tenue de la concertation.
Un débat biaisé dès le départ
Dès le départ, le débat a été biaisé. La volonté du Maître d’Ouvrage de vouloir utiliser la démarche pour une simple co-construction du projet EuropaCity (comme si la décision était déjà actée) a été heureusement empêchée par la CNDP qui a bien précisé qu’il importait AUSSI de s’interroger sur l’opportunité du projet : faut-il faire un complexe comme EuropaCity (son contenu), à cet endroit-là (son emplacement), à ce moment-là (sa pertinence dans le temps) ? Mais il a fallu sans cesse rappeler ce préalable et les présentations du Maître d’Ouvrage négligeaient en permanence les règles du débat public.
Par ailleurs, le périmètre même du débat, à savoir le seul projet d’EuropaCity a posé des difficultés. Le projet du groupe Auchan est tout à la fois inscrit, mais surtout moteur d’une démarche plus globale d’urbanisation et de projet de zone d’activités économiques, incluant une déviation et une gare de métro du Grand Paris Express. De fait, il apparaissait exclu de se limiter au seul espace du complexe EuropaCity. Le projet de ZAC et de ligne 17 ont ainsi été des paramètres qu’il fallait intégrer au dialogue. Il est toutefois regrettable que l’approche retenue, ait été celle du « saucissonnage » ou du « pied dans la porte » empêchant la construction d’un projet de territoire partagé entre Etat, élus locaux, acteurs économiques, associatifs et citoyens. De même cette approche a privé le débat d’une analyse globale des impacts environnementaux et socio-économiques du projet d’aménagement.
La procédure du débat public amène à donner les clefs du territoire à un opérateur privé, le groupe Auchan, à qui le choix d’écouter ou non les aspirations et inquiétudes des acteurs locaux lui revient in fine exclusivement. L’EPA Plaine de France porte la lourde responsabilité de cette situation
L’inégalité des moyens d’expression entre le maître d’ouvrage et les autres acteurs
Malgré les handicaps démocratiques précités, le Collectif a fait le choix de participer à cet exercice démocratique. Il y a apporté sa vigilance et son expertise. S’il a adopté une posture constructive dans le déroulé du débat et l’apport d’argumentaires étayés, il n’a jamais été question de glisser sur la pente de la co-construction d’EuropaCity.
Le Collectif remercie la Commission Particulière du Débat Public d’avoir su infléchir le déroulé du débat pour permettre un meilleur équilibre des expressions : il ainsi été permis de parler d’opportunité du projet et pas uniquement de co-construction, d’utiliser le conditionnel en parlant du projet pour souligner son aspect hypothétique. Il regrette en revanche de ne pas avoir été suffisamment associé, comme acteur majeur du débat.
Les moyens de communication « physiques » (dossier du maître d’ouvrage, kakémonos, projections vidéo), produits et distribués par la commission dans le cadre du débat ont été exclusivement ceux du maître d’ouvrage. Le Collectif a dû insister pour que les cahiers d’acteurs puissent être imprimés et distribués avant la dernière réunion de restitution et ils ne l’ont été qu’à partir de la réunion du 16 juin. Quelques cartes et graphiques ont pu être projetés au cours de certaines réunions, mais dans des temps très courts (3 à 5 mn) quand le Maître d’Ouvrage disposait parfois d’une dizaine d’interventions dans une même séance. La mise en ligne sur le site du débat public du magazine d’information et des vidéos réalisées par le Collectif par ses propres moyens a été refusée par la commission. Nous le regrettons.
Le Collectif aurait souhaité être plus associé à l’organisation des réunions du débat public. Sa mobilisation, et celle d’autres acteurs ont permis la tenue d’une réunion à Paris, qui n’était pas prévue initialement, bien que le projet soit de portée métropolitaine et même internationale. Nous regrettons que la présentation d’experts du maître d’ouvrage n’ait pas systématiquement conduit la CPDP à solliciter le Collectif pour proposer des contre-experts. Par ailleurs, quand ce dernier a pu le faire, et nous remercions la CPDP d’avoir pu leur permettre de s’exprimer, nous avons constaté que leur temps de parole se prenait au détriment de celui des participants au débat et qu’il n’était pas réparti équitablement entre celui du maître d’ouvrage et de ces experts. Sauf dans le cas de la réunion du 28 Juin qui a permis une réelle confrontation de points de vue sur la question de l’emploi, avec une participation égalitaire de 3 experts, dont celui du CPTG. Enfin, contrairement aux experts du maître d’ouvrage et de la CPDP, rémunérés, les experts sollicités par le Collectif, bien que professionnels ont assuré leurs prestations bénévolement.
Les formats d’ateliers, qui auraient été pertinents dans le cadre d’une co-construction, ne nous sont pas apparus correspondre au cadre d’un débat contradictoire sur l’opportunité du projet EuropaCity. Ils ne permettaient pas une traçabilité des paroles des uns et des autres, et les restitutions étaient de fait orientées par ceux qui les portaient (à ce titre, il nous a semblé que les représentants de l’EPA ou de la CNDP n’auraient pas dû être animateurs ou rapporteurs, pour garantir la neutralité du débat), comme cela a été le cas sur certains ateliers et certaines tables.
Enfin, si l’implication de lycéens dans le débat pouvait être pour la CPDP une expérimentation démocratique intéressante, il est regrettable là encore, de n’y avoir associé que le maître d’ouvrage, privant les élèves d’entendre des avis et études contradictoires en amont et forgeant par la même l’esprit critique nécessaire à tout citoyen. Aucune voix alternative n’a été conviée au lycée de Garges-lès-Gonesse, et c’est l’intervention d’un enseignant du lycée de Fosses qui a permis la présence du CPTG lors des débats entre lycéens.
Co-construction qui ne semble d’ailleurs qu’être une façade, l’architecte même du projet n’ayant exprimé aucun intérêt pour les retours des participants comme en a témoigné dès la fin de son intervention son départ précipité et remarqué lors de la réunion publique de Saint-Denis.
La faiblesse de la mobilisation des habitants du territoire
Il nous semble que tant la CPDP que le maître d’ouvrage et le Collectif peuvent être d’accord sur un point : la difficulté à mobiliser les habitants-citoyens du territoire, même avec les moyens mis à la disposition de la population avec le bus-débat qui s’est déplacé au cœur des habitations.
Le territoire subit des années de relégation de la banlieue dans laquelle on s’est contenté d’implanter des activités économiques à forte nuisance, dégradant les conditions de vie. Le très faible emploi sur place a engendré des communes-dortoirs, avec des habitants qui subissent des temps contraints longs, qui empêchent leur implication locale. EuropaCity se voulait être le rêve d’un avenir meilleur pour ses habitants, brillant de milles paillettes d’emplois, d’économie verte et de loisirs plus ou moins accessibles. Force est de constater que la couche superficielle brillamment saupoudrée, en amont même du débat, n’aura pas suffi à convaincre les habitants du territoire qui ne comprennent toujours pas l’intérêt d’un tel projet. L’emploi, les transports sont au cœur des préoccupations quotidiennes, mais probablement trop gros, trop loin géographiquement et dans le temps, le projet EuropaCity a échoué à impliquer dans la durée les habitants. La légitime volonté de la CPDP d’associer les habitants s’est également heurtée à cette difficulté.
Le Collectif a organisé quatre réunions à Villiers-le-Bel, Aulnay-sous-Bois, Tremblay et Paris, entre février et mai 2016, hors procédure du débat, qui ont permis de rassembler près de 400 personnes. Il reconnait également avoir échoué à mobiliser largement la population locale, au-delà de la signature d’une pétition hostile au projet. Localement, l’incompréhension ou l’indifférence reste majoritaire. Il constate toutefois que, tout au long du débat de nouveaux acteurs, individuels ou associatifs, ont émergé et su apporter une parole autonome, réfléchie, argumentée, et un engagement durable à lutter contre ce projet nuisible.
Une fracture entre les élus du 95 et du 93
De même, la participation des élus est apparue faible et disparate. La très grande inégalité de traitement entre les deux départements 95 et 93 (12 réunions dans le Val d’Oise ; 4 en Seine-St-Denis) a certainement aggravé l’opposition entre les deux départements. Les réunions localisées dans le Val d’Oise ont très rarement mobilisé des élus de Seine-St-Denis (débat culture à Villiers le Bel : une personne ; débat à Saint-Denis : aucun élu du Val d’Oise ; débat Environnement à Gonesse : aucun maire des deux départements, y compris le maire du site d’accueil, trois élus de Gonesse qui n’ont pas dit un mot). N’avoir pas prévu de débat dans le 77 explique sans doute la quasi-absence d’élus seine-et-marnais. Les services locaux et départementaux présents étaient tout dévoués à leurs élus et n’avaient aucune impartialité. A la différence d’un organisme régional comme l’IAU, ou national comme l’ADEME, qui ont exprimé dans l’indépendance des avis techniques argumentés.
Le mélange entre marketing et argumentaire
Le Collectif a apprécié avoir à sa disposition les différentes études fournies par l’EPA Plaine de France et par les directions ministérielles et acteurs publics impliqués dans le débat. Il a trouvé les contributions, questions précises et la plupart du temps argumentées.
Il regrette en revanche que le maître d’ouvrage n’ait pas abondé le débat de davantage d’études étayées. Tout au long du processus, il a été démontré que les hypothèses posées par Auchan pour la réalisation de son projet restent incantatoires et dépassent rarement la simple affirmation marketing exposée dans son dossier de maître d’ouvrage initial. De même les réponses aux questions ont repris ces grandes déclarations d’intentions sans preuve, pris acte des propositions, sans jamais prendre d’engagement ferme ou apporter de réponses étayées qui auraient pu les conforter. Cette posture d’Auchan a été confirmée lors de la réunion de restitution à Gonesse, le 4 juillet.
L’études Emploi du cabinet Sémaphores apparaît d’autant plus sommaire qu’il s’agit du sujet classé en tête par le sondage effectué par la CNDP (21 pages, des erreurs statistiques et approximations grossières, des méthodes d’évaluation discutables, des références datant de 2009, absence d’enquêtes, de listes de professionnels consultés). Les effectifs sont largement surestimés, les qualifications des filières de métiers sous-estimées. Certains chiffres doivent être divisés par 3, voire par 10 (Exemple : emplois du chantier, sans doute quelques centaines de CDD, au lieu de 12600). Nous nous félicitons et nous remercions la CNDP que d’autres chiffres, sur d’autres bases, aient été apportés par des contre-expertises.
Les études d’impacts environnemental et climatique apparaissent particulièrement indigentes à ce jour, et la prise en compte des flux de camions, ou des flux de transit vers la gare du Triangle de Gonesse n’a même pas été intégrée dans les prévisions de transports liées au projet. De même, les hypothèses en matière de dépenses énergétiques, de gestion des déchets apparaissent tout à fait hasardeuses.
Par ailleurs, les questions financières n’ont que très peu été abordées, et sous couvert de secret des affaires ou faute d’études suffisantes, à l’issue de ce débat, le contribuable n’est pas en mesure de connaître les dépenses publiques qui seront induites par le projet EuropaCity, tant au niveau des infrastructures de transports, d’énergie, de déchets, que des formations ou des transferts de fiscalités liées aux déplacements d’emplois et d’activités économiques.
Fort de ce constat, hostile à l’implantation d’EuropaCity au départ, le Collectif Pour le Triangle de Gonesse voit son opinion largement renforcée aujourd’hui par la faiblesse des arguments avancés par le maître d’ouvrage et répétés par les participants favorables au projet, sans le plus souvent être en capacité de prouver leurs dires.
Conclusion
Le Collectif a mis beaucoup d’énergie bénévole dans ce débat. Il a mobilisé des moyens financiers faisant appel à la générosité de la société civile, de personnes engagées. Il espère à présent que ce débat n’aura pas été vain, que le groupe d’Auchan comprendra de lui-même que son projet a déjà des années de retard, qu’il est intrinsèquement celui d’un ancien monde et que la couche de vernis, mirage à l’emploi et à l’exemplarité environnementale ne pourra pas occulter les conséquences négatives qu’il aurait pour le territoire. Il espère que l’Etat saura écouter les élus locaux, ses directions et instances indépendantes, telles que l’autorité environnementale et ne cédera pas au miroir aux alouettes du groupe Auchan.