Dans un entretien accordé à TELERAMA Jean JOUZEL propose la création d’une Banque européenne du climat et rappelle son opposition à EuropaCity
A quelques jours de l’ouverture de la COP24 en Pologne le 3 décembre, le climatologue et Vice-président du GIEC s’entretient cette semaine avec Vincent REMY, rédacteur en chef de l’hebdomadaire TELERAMA.
Extraits : …
Aujourd’hui, l’objectif de limiter le réchauffement à 2 degrés maximum à la fin du siècle semble presque impossible à tenir. Pourquoi le Giec, dans son tout dernier rapport, fixe-t-il alors un objectif encore plus difficile à – 1,5 degré ?
Se fixer cet objectif de 1,5 degré, c’est montrer que 2 degrés est une limite qu’il ne faut pas franchir. Ce sont les îles et les pays côtiers de l’océan Indien et du Pacifique qui l’ont demandé. Parce que, comme l’explique le Giec dans son rapport, un climat à 2 degrés supplémentaires n’a pas les mêmes conséquences sur les événements extrêmes, les canicules, les tempêtes, la perte de biodiversité, le niveau des océans, qu’un réchauffement de 1,5 degré.
Un monde à 2 degrés de plus, c’est la disparition rapide de certaines de ces îles du Pacifique. On a déjà observé que la vitesse des fleuves de glace, qui amènent la glace depuis le centre du Groenland jusqu’à l’Atlantique Nord, avait doublé. Quant à l’Antarctique de l’Ouest, certains chercheurs s’interrogent sur sa stabilité sur le long terme. Des icebergs de la taille d’un département français s’en détachent régulièrement. Donc un demi-degré, cela fait une grosse différence !
La France s’est engagée à diminuer ses émissions par quatre d’ici à 2050, et Nicolas Hulot s’était même fixé un cap plus ambitieux, la « neutralité carbone » – c’est-à-dire plus aucune émission de CO2 – à la même date…
Abandonner le pétrole, le gaz et le charbon d’ici à 2050, c’est justement ce qui permettrait de tenir l’objectif de 1,5 degré. Cela signifie qu’on diminue par deux nos émissions dans les dix prochaines années, et qu’on poursuive l’effort dans les vingt ans qui suivent ! C’est drastique. Pour cela, il faut que chaque citoyen réfléchisse à chacun de ses comportements, et surtout que tous les secteurs d’activité, logement, transports, agriculture, énergie…, s’y mettent. Cela suppose des investissements majeurs.
Qui ne sont pas à l’ordre du jour en France, ni ailleurs en Europe…
Quand j’étais au Giec, j’étais tenu à une certaine réserve. Maintenant, je m’engage ; et je le fais avec Pierre Larrouturou, en proposant un Pacte finance-climat européen. La Cour des comptes européenne a calculé que si l’Europe veut réussir sa transition énergétique il faut mettre 1 115 milliards d’euros par an, soit une augmentation de 2 % du PIB européen. Impossible ? Pas du tout. Entre avril 2015 et décembre 2017, la Banque centrale européenne (BCE) a mis à disposition des banques 2 500 milliards d’euros, dont seulement 11 % sont allés dans l’économie réelle. Le reste est parti alimenter la spéculation sur les marchés financiers. Pourquoi ne mettrait-on pas une somme équivalente pour sauver le climat ?
“Bien sûr qu’il faut un volet social accompagnant chaque mesure écologique.”
Comment ?
Nous proposons la création d’une Banque européenne du climat, qui mettra à disposition des prêts à taux zéro pour des projets liés à la transition énergétique. On y ajoute un budget européen de 100 milliards d’euros par an appuyés sur une taxe modique de 5 % sur les bénéfices non réinvestis des sociétés. Ces investissements seraient créateurs d’emploi, surtout dans les domaines de l’isolation thermique de l’habitat, des énergies renouvelables et de la recherche. Six millions d’emplois en Europe, six cent mille à neuf cent mille en France, selon les calculs de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). Ce pourrait être un magnifique projet européen. On n’a pas le choix, il faut la faire, cette transition ! Et sans attendre. Dans dix ans, ce sera pire et plus coûteux. Et l’électeur se rebellera : pourquoi ne nous l’avez-vous pas dit ?
En attendant, l’électeur se rebelle contre la hausse de la taxe sur les carburants…
Quand j’étais dans la commission Rocard pour la contribution climat-énergie, en 2009, on avait proposé une compensation pour les gens qui habitent loin de leur travail. Cela avait été retoqué par le Conseil constitutionnel. Bien sûr qu’il faut un volet social accompagnant chaque mesure écologique. Je pense que c’est surtout autour de la mobilité que tout va se jouer. On n’a pas le choix : il faut tout faire pour limiter l’usage de la voiture, développer les transports publics. Et mettre l’aviation low cost au pas !
Son développement est scandaleux : le kérosène n’est pas taxé, les compagnies demandent des subventions aux régions pour aller les desservir, c’est le contribuable qui paye, les conditions sociales sont inacceptables. Mais la doctrine de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), épine dorsale du capitalisme, c’est de maximiser les échanges de marchandises et d’humains. Or la lutte contre le réchauffement ne se fera qu’avec une relocalisation et une modération de ces échanges.
“La première conséquence des dérèglements du climat, c’est d’accroître les inégalités partout sur la planète. Les mouvements migratoires vont s’amplifier.”
Que pensez-vous de ceux qui prônent la désobéissance civile pour lutter contre toutes les décisions qui aggravent la situation ?
Si elle est non violente, je ne suis pas contre. Je soutiens surtout l’action juridique de l’association Notre affaire à tous, qui œuvre à l’instauration d’une justice climatique. De plus en plus de procès sont faits contre les pays qui ne tiennent pas parole dans la lutte contre le réchauffement. Car la première conséquence des dérèglements du climat, c’est d’accroître les inégalités partout sur la planète. Les mouvements migratoires vont s’amplifier. Or le seul projet européen, pour l’instant, c’est de mettre des grillages autour de l’Europe…
Vous vous engagez régulièrement sur des causes concrètes…
Oui, j’ai signé contre le projet Europacity, gigantesque zone commerciale en Seine-Saint-Denis, je m’étais également élevé en 2014 contre l’abandon de la taxe environnementale sur les poids lourds, dite écotaxe. Il faut se battre contre tous les grands projets absurdes et les excès du transport routier. Nous avons besoin d’autres modèles de développement. Nous les chercheurs devons témoigner, partager nos connaissances. Je ne souhaite pas être épargné par les tourments du monde.
“Les personnes aisées de cette planète, peut-être deux ou trois milliards, trouveront toujours des endroits où il fait bon vivre. Pas les autres.”
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