Telle est la question au cœur de l’essai Architecture et économie – Ce que l’économie circulaire fait à l’architecture, publié par Grégoire Bignier, architecte et professeur à l’école nationale d’architecture ENSA Paris-Val de Seine ( Paris, mai 2018, éditions Eyrolles, 155 pages).
Il s’agit ici de définir le nouveau concept « d’économie circulaire » et son impact sur l’architecture et l’urbanisme.
L’ouvrage analyse les caractéristiques de cette « économie circulaire », en commençant par définir son opposé, « l’économie linéaire », qui structure actuellement notre environnement urbain.
L’économie linéaire, c’est autour d’une unité appelée « bâtiment », l’accumulation d’équipements et structures qui remplissent les fonctions « vitales » liées aux bâtiments et à l’interconnectivité de la cité (distribution d’eau et d’électricité, transports, réseaux téléphoniques et internet, etc.). Cette organisation urbaine de réseaux et de terminaux n’obéit qu’à des considérations économiques de court terme, à l’exclusion de toute considération écologique ou sociale.
Les exemples d’EuropaCity, de Notre-Dame des Landes et du Grand Paris sont présents dans l’ouvrage pour rappeler cette réalité. L’économie linéaire apparaît comme une fuite en avant vers toujours plus de complexité, toujours plus de densification urbaine, toujours plus d’investissements à des coûts croissants.
Le livre démontre pourtant que ce soi-disant « cercle vertueux économique » cache des limites sur le long terme : entre autres, dépendance vis-à-vis de structures à taux d’obsolescence élevé, toujours plus complexes, coûts d’entretien, de maintenance, de renouvellement croissants et démultipliés en cas de catastrophe naturelle. Enfin les carences sociales d’une organisation où l’Agora des athéniens disparait au profit de réseaux virtuels et où les territoires périphériques sont systématiquement délaissés (fermeture de maternités et de lignes ferroviaires non rentables).
Avec les propositions de recyclage des matières premières, c’est le club de Rome (1972) qui a le premier esquissé le modèle d’économie circulaire. Mais celui-ci, dans ses applications, revêt un caractère si protéiforme que l’auteur ne peut qu’en citer quelques exemples, sans pour autant en dégager une définition qui s’appliquerait à tous les cas de figure. Sans doute est-il trop tôt pour cela. Mais deux points communs à tous les modèles émergent : l’écologie industrielle et le recyclage.
Les exemples d’écologie industrielle cités vont de petites structures regroupant quelques « opérateurs » dans un périmètre restreint à d’autres plus étendues. L’ensemble danois de Kalundborg regroupe cinq éléments : centrale à charbon, raffinerie, usines – l’une de production d’enzymes et d’insuline, l’autre de panneaux de gypse – système de chauffage urbain de la ville voisine. Le gypse vient de la centrale à charbon, le chauffage urbain du traitement des déchets. Ce système d’échanges tire son intérêt des économies réalisées d’un point de vue économique et écologique. L’ensemble ne peut pourtant se passer d’apports externes (addition nette aux stocks).
L’emploi répété du mot « métabolisme » suggère l’analogie avec l’être vivant, son espace restreint, ses influx nerveux bidirectionnels, ses symbioses, ses « usines » de transformation métabolique et ses échanges avec le milieu extérieur. Lorsque ces caractéristiques s’appliquent à des structures plus complexes, incluant des écosystèmes, l’écologie industrielle devient hybride : tel est le cas de l’ensemble constitué par le port du Havre, la ville et les zones humides de l’embouchure de la Seine ou la baie du Mont-Saint-Michel. La description de ces ensembles aboutit à une conclusion en forme de définition :
UNE ÉCONOMIE CIRCULAIRE, ce sont des opérateurs de nature très différente fonctionnant en symbiose, sur des distances très courtes, en mode quasi-fermé avec une addition nette aux stocks la plus faible possible. Dit autrement, elle inclut quatre espaces : infrastructures, espace urbain, biosphère, espace politique pour la gestion de l’ensemble. Sans le recyclage, on ne peut parler d’économie circulaire.
En remarque préliminaire, on peut distinguer quatre types de recyclage, selon que l’on récupère la matière première, qu’on la reconditionne, qu’on réemploie l’objet, ou qu’on le répare. Ces différents aspects du recyclage visent à minimiser les apports de matière, mais supposent une « addition nette aux stocks » énergétique, dont l’importance varie selon les modes de recyclage.
En s’appuyant sur une critique de la production architecturale actuelle, l’auteur présente les différents volets de l’économie circulaire et les illustre de cas réels. Écologie industrielle, recyclage et économie sociale et solidaire constituent les principales hypothèses auxquelles conduit son exposé. Articulées entre elles, elles forment un outil qui offrira une approche circulaire aux architectes qui sauront s’en emparer. C’est ainsi que l’économie circulaire appelle une définition actualisée et étendue de l’architecture du XXIe siècle.
Tout comme l’économie, l’architecture peut être « linéaire » ou « circulaire ».
L’auteur définit la première comme « une structure inerte, définitive, peu résiliente, greffée sur un réseau d’infrastructures qui dégrade la biosphère », tandis que la seconde se pense comme « un artéfact énergétique conçu pour s’adapter en boucles aux changements de cycle ».
Les structures et réseaux de l’architecture circulaire ne sont pas figés dans le temps et l’espace comme la pyramide de Khéops ou la grande muraille de Chine. Ils ignorent l’obsolescence propre aux systèmes linéaires en réhabilitant ou rénovant. Ils préfèrent la réhabilitation et le réaménagement à la destruction, récupèrent et reconditionnent les éléments matériels trouvés sur place ou venus d’ailleurs.
L’auteur illustre son propos par le modèle de la maison « écologique », repris dans le chapitre suivant sous le vocable de « maison à énergie positive » : comme son nom l’indique, elle est équipée de dispositifs techniques qui visent à produire plus d’énergie qu’elle en consomme, ce qui impose la gestion du surplus par un opérateur qui passe du statut de producteur à celui de régulateur de stocks et la mise en place de structures bidirectionnelles dédiées à la répartition de l’énergie.
Il reste à relier entre eux les modules d’économie circulaire bourgeonnants dans un paysage d’économie linéaire, par le biais d’acteurs communs ou d’états propices aux échanges. Dans un passage consacré à l’Université Catholique de l’Ouest (UCO) d’Angers, l’auteur décrit tout un processus d’adaptation qui construit un ensemble de procédés visant à intégrer dans un vaste ensemble interconnecté les caractéristiques de la « maison à énergie positive ».
La mise en place de cette économie « post-industrielle » permet de faire l’économie d’infrastructures coûteuses, créatrices de « dette écologique », de désertification de pans entiers du territoire et de dérèglement du climat. C’est le rôle de l’économie sociale et solidaire, auquel le dernier chapitre du livre est consacré et l’auteur s’appuie ici largement sur un exemple cher à tous les habitants de Montmorency, celui de la vallée de Montmorency.
Ainsi le lecteur comprend que l’économie circulaire s’impose peu à peu comme une alternative à l’économie linéaire qui est le modèle économique dominant du monde contemporain. À l’heure où l’Europe s’interroge sur les orientations quelle veut donner à son développement, cet ouvrage complète bien à propos le précédent ouvrage de l’auteur, Architecture et écologie, comment partager le monde habité ?, qui présentait un horizon architectural et urbain répondant aux nécessités de la transition écologique.