Les charlatans du Triangle de Gonesse : le haut-fonctionnaire Jean-François Carenco

Jean-François Carenco, l’ex préfet qui ne fait plus rire du tout

La presse étant friande de divertir ses lecteurs avec des séries thématiques pendant l’été, L’Écho du Triangle a choisi de revenir sur les nombreux charlatans qui ont participé depuis plus d’une décennie aux tentatives de destructions du milieu naturel du Triangle de Gonesse par des projets aussi dangereux les uns que les autres.

Le charlatan de ce numéro de juillet 2023 est Jean-François-Carenco.

Pas un poisson d’avril

Par décret du 5 mars 2015 Jean-François-Carenco est nommé préfet de Paris et de la région Ile-de-France. Sa prise de fonction le 1er avril 2015 n’était malheureusement pas un poisson d’avril. Dans un entretien publié le 31 mai 2015 par le Journal du Dimanche, il déclarait : « Je ne suis pas préfet du Grand Paris, mais de Paris et de la région Île-de-France. Il est vrai cependant que j’ai comme consigne de faire sortir de terre rapidement un certain nombre de réalisations liées au Grand Paris, ainsi que de veiller à la construction de la Métropole. Je ne dirais pas que le dossier s’enlisait… Mais en effet, je suis là pour faire en sorte que le Grand Paris soit, au plus vite, une chance pour les Parisiens, les Franciliens et l’ensemble des Français. » La première de ses trois priorités pour le Grand Paris ? « L’emploi, la mère des batailles. Cela veut dire : zones d’activité, compétitivité, accélération des procédures… ». Si en 2007 N. Sarkozy avait déclaré « La croissance, j’irai la chercher avec les dents », c’est donc avec des engins de chantier que J.-F. Carenco compte aller la chercher.

Préfet mais surtout VRP du groupe Auchan

J.-F. Carenco a servi d’entremetteur entre les groupes français Auchan et chinois Wanda à l’occasion de la prise de participation le 26 février 2016 du second dans le projet privé de méga-centre commercial et de loisirs EuropaCity à Gonesse porté par le premier : « “Les dirigeants des deux groupes ont signé ce jour un accord de partenariat, en présence de Monsieur Jean-François Carenco, Préfet de la Région Île-de-France, pour le développement de ce projet emblématique du Grand Paris”, ont annoncé dans un communiqué les deux groupes. » (dépêche AFP « Auchan: le chinois Wanda investit dans Europacity » du 26.02.2016)

Ce soutien ostensible du préfet de région à de puissants intérêts privés est relevé par la journaliste Aurélie Delmas dans son enquête « Un multimilliardaire chinois derrière le projet Europacity » publiée le 7 novembre 2016 par Reporterre : « Le groupe français [Auchan] n’a d’ailleurs de cesse de mettre en scène ses soutiens, notamment institutionnels. L’accord de partenariat entre Wanda et Alliages et Territoires a été signé en présence de Jean-François Carenco, alors préfet de la région Ile-de-France, et dans les communiqués, la photographie de Wang Jianlin aux côtés de François Hollande est toujours en bonne place. »

Le 3 mars 2016 lors du Hub du Grand Paris La Tribune, J.-F. Carenco franchit un stade supplémentaire dans le mélange des genres en faisant une intervention publique en faveur d’EuropaCity, à quelques jours seulement de l’ouverture du débat public organisé par la Commission Nationale du Débat Public sur ce projet. L’évènement n’a pas échappé à l’urbaniste et socio-économiste Jacqueline Lorthiois qui l’évoque dans son billet de blog « Bêtisier d’Europacity n°1 – Un catalogue d’images d’Épinal » du 17 décembre 2016 : « Blason du territoire à redorer (…) Mais les images d’Épinal ont la vie dure, comme le mythe de « Roissy, manne d’emplois » qui continue à susciter les appétits des élus et l’admiration des pouvoirs publics (« ça fait des milliards » se réjouit M. Carenco, préfet d’Ile-de-France, dans une vidéo qui n’est sans rappeler la prestation de Louis de Funès dans La Folie des Grandeurs), tandis que la « courbe de l’emploi » du pôle pique du nez (comme feu le Concorde) venant démentir cette vision par trop idyllique. »

A la CRE, Carenco est dépassé par les événements

En février 2017 J.-F. Carenco est nommé président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Le bilan de sa présidence de la CRE a été analysé par le journaliste Axel Perru dans l’article « Ministère des Outre-Mer : Jean-François Carenco, un techno aux prédictions fragiles » publié le 04.07.2022 par l’hebdomadaire Marianne : Pour mieux cerner la ligne politique de Jean-François Carenco, il faut se pencher sur sa présidence de la CRE. Depuis 2017, il dirige une autorité administrative indépendante censée veiller au bon fonctionnement du marché de l’énergie « au bénéfice des consommateurs et en cohérence avec les objectifs de la politique énergétique ». À ces mêmes consommateurs français, il assure en novembre 2021, dans une interview au Midi Libre, que la crainte d’une hausse du prix de l’énergie est « illégitime ». Quatre mois plus tard, il les appelle pourtant à se serrer la ceinture devant l’inflation qui s’envole. Il affirme aux Échos que « baisser les prix n’est pas l’objectif de la CRE ». (…) Si le haut fonctionnaire a refusé que le système énergétique français « repose sur la seule pensée néolibérale », il n’en reste pas moins favorable à l’ouverture à la concurrence.

Carenco aux Outre-mer, une « erreur de casting »

A l’été 2022 il est remplacé à la CRE par l’ex-ministre du Logement Emmanuelle Wargon (candidate battue en juin 2022 au 1er tour des élections législatives dans le Val-de-Marne) et a rejoint le gouvernement d’Élisabeth Borne, prenant en charge les Outre-mer (« ministre délégué chargé des outre-mer »), aux côtés de Gérald Darmanin.

Ses rapport avec les hauts-fonctionnaires, élus et avec son ministre de tutelle Gérald Darmanin sont décrites comme particulièrement tendues. Ce dernier, selon l’article « Outre-mer : le ministre Jean-François Carenco au centre des critiques » publié le 10 juillet 2023 par Le Monde, “tolère à peine que M. Carenco continue de l’accompagner sur le terrain“. D’après le même article, “« Carenco », comme le nomment les élus ultramarins, accumule les critiques depuis des mois. Au point que, un an après sa prise de fonctions, des hauts fonctionnaires n’hésitent plus à s’agacer d’une « erreur de casting »“.

“Il est vraiment très nul hein?” (Gérard Larcher au Sénat le 21 juin 2023)

Sans se rendre compte que son micro n’était pas coupé, mercredi 21 juin à la tribune de l’hémicycle le président du Sénat, Gérard Larcher, a commenté de façon triviale (« Il est vraiment très nul hein ? ») une intervention de Jean-François Carenco. Pour BFM TV, « Si la remarque de Gérard Larcher reste plutôt discrète, la confirmation de l’analyse du président du Sénat par le secrétaire général du Sénat, assis à sa droite, et à qui était destiné le commentaire, ne laisse aucune place au doute:”Il se surpasse… Il s’est surpassé”, abonde Eric Tavernier, esquissant un sourire. ».

A quand le clap de fin ?

En 2016, sur le dossier de l’aménagement du Triangle de Gonesse, J.-F. Carenco avait choqué tant par sa propension à mélanger intérêts public et privé que par son style désinvolte. Il avait commencé sa carrière à Montpellier au côté du bouillonnant Georges Frêche, connu pour ses provocations et autres outrances verbales (notamment envers la communauté harkie en 2006) et a gardé de cette période un goût pour l’humour douteux : “Accompagnant à Mayotte Gérald Darmanin, son ministre de tutelle, les 24 et 25 juin [2023], il lance à un membre de sa délégation qui aperçoit des lémuriens dans les arbres : « Y a des lémuriens, y a aussi des bons à rien. »” (source : article précité du Monde)

Le temps pour que Monsieur Carenco fasse valoir ses droits à la retraite ministérielle est-il venu ?

Note de la rédaction : Cet article a été écrit avant le remaniement de jeudi 20 juillet. Nous pouvons lui faire une “haie de déshonneur” pour son départ. Nous n’avons pas la mémoire courte.