Sainte Soline, 25 mars, témoignages

Témoignage de Pierre Toulouse, CPTG
Témoignage de Michèle Loup, CPTG
Témoignage de Caro Charlie Delboy
Témoignage de Mathieu Eisinger

Ci dessous, des extraits de ces témoignages écrits par des membres ou des proches du CPTG.

Pierre, CPTG :
Nous sommes allés, ma compagne, un ami et moi, découvrir ces monstres que sont les bassines. Arrivés le samedi matin à Vanzy nous avons raté les consignes et suivi le premier cortège de plusieurs milliers de  manifestants qui passait. Nous l’avons remonté  longuement ! Très longuement ! pour retrouver Bernard et Michèle que nous savions être près de la tête, symbolisée par l’outarde géante. Des centaines et des centaines de personnes de tous les bords et de tous les drapeaux qui remontaient tranquillement les 6 km qui nous séparaient de la Bassine de Sainte Soline.
<…> La présence gendarmesque n’était là que pour satisfaire à la demande de la FNSEA d’une part et à la volonté du Gouvernement  d’autre part  de  décrédibiliser le mouvement de protestation. Il n’y avait strictement rien à protéger si ce n’est un immense tas de Terre entourant un trou vide au milieu des champs. Les plus virulents des manifestants  avaient pour seul but de parvenir sur le sommet des digues pas de piller ni de “casser du flic”. L’agression venait d’en haut !

Michèle Loup, CPTG :
<…>
Le chemin est long, le cortège aussi très long… il y a énormément de monde ! Il y a eu deux petites pauses d’environ une dizaine de minutes pour partager biscuits, chocolat, pommes, bananes… Les personnes de l’intercantine distribuent des gâteaux secs ; on chante et crie quelques slogans, on papote, fait connaissance des voisins éphémères, etc…
On arrive sur le champ en face de la bassine à 12 h 58 (d’après mes photos) et là on voit qu’il y a déjà un nuage de gaz lacrymos sur la droite et on comprend que des militants essaient de forcer le barrage de gardes-mobiles, puis en peu de temps, un nuage de lacrymos sur toute la largeur de la Bassine avec des grenades toutes les secondes (1ère vidéo de 1’20 sec). Un grand cortège arrive de la droite et se déplace vers la gauche.
Quelqu’un crie « on encercle la bassine »… on se déplace alors aussi vers la gauche pour tenter de la contourner par la gauche.
<…> 3 semaines presque après ce qui restera dans ma mémoire comme « Sainte-Soline », j’ai toujours cette incompréhension : pourquoi un tel déferlement de violence de la part de l’Etat ?… Même si je le comprends intellectuellement (les écologistes sont dangereux pour le pouvoir car elles/ils remettent en cause le fonctionnement global de la société), je ne peux l’accepter !

Caro Charlie Delboy, militante chez Disco Soupe et Make Sense, photographe pour Reporterre à Sainte Soline :
C’était il y a une semaine. La colère n’est pas redescendue. C’était déjà très dur de vivre ces 2h de carnage dans la chair, mais c’est encore plus dur de lire le traitement médiatique et politique de ces 2h.
La violence ne vient pas de nous, il n’y pas à épiloguer sur ce point. Il ne devrait même pas y avoir de débat sur qui sont les criminels armés dans cette histoire.
On a vu tourner en boucle les images de confrontations et on a raconté de ces images ce qu’on voulait leur faire dire.
Et pourtant, il y avait d’autres choses à montrer et à raconter. A Sainte Soline, il y avait aussi :
– des DANSES, des DÉBATS, des SOURIRES, des CHANTS en français, en espagnol, en italien, de la MUSIQUE pendant et après l’action, pendant et après la violence
– du SOIN, tout le temps <…>
– une COALITION intergénérationnelle et une CONVERGENCE des luttes sans précédent <…>
– une LOGISTIQUE d’accueil et une ORGANISATION d’action incroyablement bien pilotée <…>
– de l’ESPOIR et de la DÉTERMINATION <…>
– de l’ENTRAIDE, tout le temps aussi. <…>
Pensées à S. et toustes les autres.

Mathieu Eisinger, militant de Disco Soupe, créateur d’un podcast ” HISTOIRES D’A ” sur l’autonomie, l’autonomie, l’alternative et l’anarchie, et d’un autre podcast sue le mouvement abti-nucléaire, ” Un déjeuner chez Bernard ” ::
Pas la peine d’euphémiser, de tourner autour du pot.
Je suis traumatisé.
Par ces deux heures. Était-ce une ? Trois ? Je ne sais pas.
Le temps s’est fracturé, disloqué, étendu, rétréci. Impossible de savoir.
Pendant tout ce temps où j’étais à Sainte-Soline, j’étais en enfer.

Un enfer champêtre, entouré d’ami·es, en ayant marché dans la joie, accompagné de drapeaux au vent, de chants d’oiseaux, d‘un timide soleil et de gâteaux à la fleur d’oranger distribués ça et là, à qui en avait envie.

Et puis le sol s’est dérobé sous mes pieds. Quelqu’un a brutalement changé la bande-son, a poussé le volume à 150db, les bouchons d’oreille que je mettrais plus tard, trop tard, n’y changeront que peu de choses. D’ailleurs merci mille fois à la personne qui a sorti un sac de 20 bouchons et les a distribués aux affamés de silence que nous étions. Je ne te connais pas mais je t’aime.
Combien d’explosions ai-je entendu 100, 1000 ? plus encore ?
De toute façon c’était trop, beaucoup trop. Et des lacrymos encore. Partout. De manière aléatoire, disproportionnée et soudaine.
A l’héroïsme de la lutte du début, à l’affrontement presqu’enfantin de nos oiseaux de bois et de nos pancartes succède une pluie de lacrymogène partout.
Une nuée de quads vole et attaque le cortège à ma droite. À mon extrême droite ?
Je vois une chaîne humaine se former pour entourer le talus de terre que je devine être cette méga-bassines encore vide.
Et cette chaîne mange des lacrymos. Encore et encore.

Au milieu de ce tumulte, je me sens en danger psychique, je prends le large, je me recule mais là c’est pire. Les grenades assourdissantes vont plus loin que les lacrymos. Une d’elle explose à 5m de moi, j’ai le temps de voir la petite lumière rouge qui vibre et boum. L’onde du bruit me percute au thorax, souffle coupé. Je suis sonné debout.

Mais où suis-je ? Qu’ai-je donc fait ? N’y-a-t-il aucun endroit où je suis en sécurité ?
La foule crie pour soutenir les camarades qui partent au combat. Je hurle.
No Bassaran ! No bassaran !
Je sors la rage qui est en moi.
No Bassaran ! No bassaran ! <…>