Un collectif d’architectes-urbanistes, la plupart membres du conseil scientifique l’AIGP (Atelier International du Grand Paris) dénonce la logique financière du projet EuropaCity porté par le cabinet d’architecte Bjarke Ingels (Big pour les intimes). Dans ce collectif on retrouve :
- Frédéric Bonnet, grand prix de l’urbanisme 2014, auteur d’un rapport sur l’aménagement des territoires ruraux et périurbains
Antoine Brès :Architecte-Urbaniste et professeur à l’ Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne, auteur de “Figures discrètes de l’urbain, à la rencontre des réseaux et des territoires”
Christian Devillers : Architecte urbaniste, Prix de la Biennale de l’Habitat Durable en 2006, membre du conseil scientifique de l’AIGP
Antoine Grumbach, Architecte-Urbaniste; membre du conseil scientifique de l’AIGP (Projets : Marseille Méditerranée, Le Millénaire)
David Mangin : grand prix de l’urbanisme 2008, membre du conseil scientifique de l’AIGP (Projet : Quartier des Halles)
Béatrice Mariolle, présidente TEPOP association, membre du conseil scientifique de l’AIGP
Christian de Portzamparc, grand prix de l’urbanisme 2014,, membre du conseil scientifique de l’AIGP
Leur tribune : Grand Paris : non à la logique financière
Le projet EuropaCity, qui propose d’urbaniser plusieurs centaines d’hectares du Triangle de Gonesse, est pensé comme une bulle consumériste sans lien avec le tissu urbain et social qui l’environne.
Aux portes du Grand Paris, un grand projet concernant un site stratégique de 800 hectares est en ce moment l’objet d’un débat public. Ce débat est fondamental parce qu’il interroge les conceptions que l’on peut avoir des modes de vivre et de fabriquer la mégapole parisienne. Nous, architectes urbanistes, ne pouvons y être indifférents.
De quoi s’agit-il ? D’urbaniser, ou non, plusieurs centaines d’hectares deriches terres agricoles du « Triangle de Gonesse », situé entre le Bourget et Roissy et bordé par l’autoroute A1. Le projet en débat, nommé EuropaCity,
propose, dans un premier temps, d’installer sur ces terrains 80 hectares de constructions – 470 000 m² dont 235 000 m² de surfaces commerciales, culturelles et de loisirs, et 100 000 m² d’espaces à usage public, mais pas de
logements, car ils se trouveraient sous le corridor aérien. 11 800 emplois sont promis. Ce projet, en forme de grande
ellipse refermée sur elle-même, serait desservi par des voies rapides déjà très saturées et, en 2024, par une station
du Grand Paris Express (GPE). Il est présenté comme un puissant attracteur pour un tourisme mondialisé et régional. La commission du débat public va rendre compte des discussions et rassembler les avis émis ces dernières semaines. Nous voudrions contribuer à ce débat.
Tout d’abord, nous jugeons ce projet inopportun, ici et maintenant.
Il est pensé comme une bulle consumériste, déconnecté des territoires en (re) construction, si ce n’est en captant une station du GPE à son profit principal. Il aura pour effet de détruire les emplois des commerces existants en centre-ville, dans les cités ou dans les centres commerciaux aujourd’hui insérés dans la nappe urbaine, alors qu’il y a déjà suroffre de surfaces commerciales récentes. L’argument de la création d’emplois, auquel évidemment
tout le monde est sensible, n’a pas de sens si on n’évalue pas en parallèle les emplois détruits et les investissements nécessaires pour reconstituer des tissus économiques et sociaux à l’aide de l’argent public. Le projet proposé répond encore une fois à la logique financière qui conduit à faire toujours plus grand et plus loin, donc plus dépendant de l’automobile.
DES ALTERNATIVES EXISTENT
Il est de plus inopportun au regard de trois autres projets en cours : Le Bourget, où un vrai morceau de ville habitable est en cours d’élaboration ; Villepinte-Tremblay, entre le Parc international des expositions (2 millions de
visiteurs par an) et l’aéroport Charlesde- Gaulle, où les ingrédients d’un projet d’envergure existent aussi et pourraient être reliés, fédérés et mis en synergie ; enfin, PSA Aulnay dont les terrains au bord de l’autoroute A1 sont
aujourd’hui libérés et risquent de partir à la découpe, faute à ce jour de projet d’envergure et de véritables liaisons
avec les villes d’Aulnay et Villepinte.
Ensuite, des alternatives existent. Il faut repenser le projet actuel de façon à
ce que les habitants en profitent réellement. L’idée d’associer des programmes de toute nature est porteur d’une
véritable innovation sociale, économique, urbanistique, architecturale, mais à condition qu’ils soient connectés aux
tissus urbains et sociaux. On peut ainsi imaginer de nouveaux modèles d’hybridation rassemblant à l’échelle locale
des équipements et des services. Si « l’Etat ne peut pas tout payer », raison de plus pour qu’il privilégie les projets
les plus proches des lieux de vie existants ou potentiels, plutôt que de les cannibaliser par un projet hors-sol, en
décourageant des générations de militants de la ville et de la vie urbaine.
Associer et répartir plutôt que séparer et concentrer, fédérer – les communes, les départements, la région, la métropole, le public et le privé – plutôt que diviser, optimiser les ressources… Il est temps de mettre les actes en accord avec les politiques publiques.
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