Le fiasco du Grand Roissy : en dix ans (2012-2022), deux projets terminés sur 25

Le fiasco du Grand Roissy : en dix ans (2012-2022), deux projets terminés sur 25

Résumé de l’article posté sur le blog de J. LORTHIOIS, https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/010722/le-fiasco-du-grand-roissy-en-dix-ans-2012-2022-deux-projets-realises-sur-25

Depuis 40 ans, la politique de développement du Val d’Oise se focalise sur l’aménagement du Grand Roissy. En 2012, l’EPA Plaine de France lançait une étude sur un ensemble de 25 projets programmés : le bureau d’études ECODEV avait alors évalué à 104 000 les emplois à créer en 2020-22 et 132 000 à terme. 10 ans après, le bilan est dérisoire : seuls 2 projets sont achevés, avec 5000 emplois… Malgré une telle déroute, les élus s’entêtent à poursuivre cette stratégie, en votant 3 nouveaux projets sur le Triangle de Gonesse le 8 juillet 2022. Analyse sans concessions.

Tous les signes témoignent du caractère « daté et dépassé » du modèle de « Ville aéroportuaire » promue par John Kasarda il y a plus de vingt ans1 : un grand aéroport comme moteur d’une « entité urbaine puissante », qui résume la politique d’aménagement dite du « Grand Roissy » défendue par le Val d’Oise et soutenue par la région Ile-de-France. Bien que l’on ait enregistré depuis une quinzaine d’années un découplage entre le trafic aérien – qui a continué à croître jusqu’en 2019 – et l’emploi – qui a entamé son déclin dès 2008, accéléré avec la pandémie –, les élus s’entêtent à tout miser sur le seul pôle aéroportuaire pour booster l’ensemble du développement de l’Est-95… Dans cet esprit, le Conseil départemental vient de ratifier en juillet dernier, le rajout de trois nouveaux projets du Grand Roissy à implanter sur le Triangle de Gonesse, destinés à justifier la gare du métro : une Cité scolaire, une administration d’État non précisée et le volet agricole d’Agoralim2 porté par la SEMMARIS, société gestionnaire du MIN de Rungis. Venant en appui, il est créé une Société Publique d’Aménagement d’Intérêt National (« SPLA-IN ») portée par Grand Paris Aménagement allié au CD 95 et à l’intercommunalité CARPF : un mode de gouvernance simplifié et centralisé qui permet de s’abstraire des procédures habituelles pour des projets d’urbanisme considérés comme « majeurs ».

Mais on a beau rajouter à la liste du Grand Roissy ces trois nouveaux projets à la faisabilité douteuse, les décideurs ne parviennent toujours pas à justifier de l’utilité socio-économique d’une gare située dans un désert humain : que signifie une Cité scolaire hors agglomération, avec un internat dans une zone interdite à l’habitat permanent, en raison des deux Plans d’exposition au bruit (PEB) des aéroports de Roissy et du Bourget ? Une administration d’État qui s’installerait au milieu des champs, absurdité telle que la désignation tarde depuis décembre 2021 ? Une activité de production de légumes du MIN de Rungis-Nord sur le Triangle de Gonesse, en l’absence de la possibilité d’acquisitions foncières ? J. Lorthiois a démontré dans une série d’articles que ni la fréquentation des populations, ni le nombre d’emplois nouveaux desservis, ni l’accessibilité à l’ensemble des emplois, ni les gains de temps, ni la centralité urbaine, ni la balance coûts financiers/avantages – autant de critères permettant de mesurer l’utilité de la gare du Triangle et plus généralement de la ligne 17 Nord – n’étaient nullement atteints, comme le montre le tableau récapitulatif : Malgré ces constats accablants, en 2021, nous avons eu la surprise de découvrir incidemment (dans le cadre de l’enquête publique de la ligne 18 Orly-Versailles), que la SGP – juge et partie – avait procédé à une révision de l’évaluation socio-économique du Grand Paris Express, avec une énorme majoration du bilan socio-économique de certaines lignes, sans aucune explication. Quelle n’est pas notre stupéfaction de constater que l’évaluation socio-économique de la ligne 17 Nord passe d’un gain de 0,8 milliard en 2016 à 6,8 milliards en 2021, soit une augmentation abusive de +747 % ! Entretemps, les trois principaux projets du Grand Roissy (Europacity et le centre d’affaires qui lui était lié, le projet d’extension de l’aéroport Terminal T4) avaient été abandonnés, soit une promesse de 70 000 emplois envolés en fumée… ce qui aurait dû se traduire par une substantielle révision à la baisse ! Pourtant, le critère « nouveaux emplois » enregistre un bonus passant de 0,4 milliard à 4,6 milliards, sans aucune justification… Ces manipulations traduisent une malhonnêteté indigne d’une entreprise publique, chargée en principe de l’intérêt général. Voir l’article « Les manœuvres de la Société du Grand Paris : comment positiver des critères négatifs ». https://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/240722/les-manoeuvres-de-la-societe-du-grand-paris-comment-positiver-des-criteres-negatifs

Dans ce contexte, que signifient les 3 nouveaux projets rajoutés en catastrophe pour justifier le chantier de la gare du Triangle de Gonesse à tout prix, alors qu’on constate le fiasco de l’ensemble de la politique d’aménagement du Grand Roissy promue depuis 2012 ? Pour en avoir le cœur net, le CPTG a commandité une nouvelle étude pour évaluer l’état d’avancement des 25 projets portés par l’EPA Plaine de France -désormais Grand Paris Aménagement-, dix ans plus tard. Nous avons déjà cité l’abandon d’Europacity en 2019 et son centre d’affaires, suivi par l’arrêt du projet d’extension de l’aéroport, avec la crise du trafic aérien lié à la crise sanitaire, ce qui représente au total l’annulation de 53% des perspectives d’emplois envisagées. Une quinzaine d’autres projets sont à l’arrêt, fonctionnent au ralenti, ou encore ont un avenir incertain. Et surtout, en 2013, l’entreprise PSA a fermé ses portes à Aulnay-sous-Bois, venant rajouter une friche industrielle dont la valorisation devrait constituer une priorité. Au total, deux projets seulement sont terminés, un gain de 5000 emplois (Aéroville et Roissy Parc International)… à comparer aux 104 000 postes promis en 2020-22.

Quand une stratégie obtient 5% de son objectif, on serait en droit d’attendre des responsables une réorientation de leur politique plutôt que sa poursuite aveugle. Dans un contexte où la commercialisation de zones d’activités disponibles marque le pas (une centaine d’ha restants sur Aérolians, ainsi qu’une centaine d’ha sur la friche PSA, très bien desservie par route et fer, sans compter une dizaine d’autres projets à l’arrêt) et que le secteur privé se désinvestit massivement de projets risqués, l’État gaspille l’argent public en se portant au secours de projets non rentables, nuisibles aux populations… et prend des jeunes en otage dans une Cité scolaire, assignés aux décibels des avions, afin de justifier une gare en plein champ et une ligne de métro dont l’utilité est totalement démentie par les faits.

NB : il s’agit des emplois supplémentaires escomptés (et non de l’emploi total existant).


Lire aussi l’etude de J. LORTHIOIS, « Actualisation des impacts sur l’Emploi des 25 projets du Grand Roissy », Collectif pour le Triangle de Gonesse, avril 2022, 39 pages. https://ouiauxterresdegonesse.fr/wp-content/uploads/2022/08/Etude-ECODEV-revue.pdf

1 John Karsada, Aérotropolis, la Ville aéroportuaire, voir site http://aerotropolis.com/

2 Le projet Agoralim, porté par la Semmaris, est une extension du MIN de Rungis, au nord de l’Ile-de-France. Jean Castex l’a défini comme « une plateforme de distribution alimentaire, mais aussi un projet de développement des circuits courts et de la production locale. »