Bêtisier d’EuropaCity 7. Transports : mobilité obligée ou déplacements évités ?

Dans cet article Jacqueline Lorthiois dénonce l’absurdité de la création de nouvelles infrastructures de transport qui entraînent des déplacements toujours plus longs sans diminuer le taux de chômage élevé qui est le résultat dramatique mais logique de  politiques d’emploi totalement déconnectées des besoins de la main-d’œuvre locale.

Article déjà publié par Jacqueline Lorthiois dans son blog de déconstruction d’idées reçues sur l’emploi, la main-d’œuvre et les GPII : http://blogs.mediapart.fr/j-lorthiois/blog/061218/betisier-deuropacity-7transports-mobilite-obligee-ou-deplacements-evites

6 déc. 2018 – Par J. LORTHIOIS

Dans des espaces dissociés (pôles d’emplois sans habitants, d’habitats sans emplois) on prétend recoudre la fracture territoriale par des transports inutiles, aggravant la situation sans la résoudre (faible mobilité des actifs, galère des réseaux saturés, pollutions)… Florilège d’idées reçues et contre-vérités, voulant justifier une politique obsolète, exprimée par la révolte des gilets jaunes.

Les partisans d’EuropaCity revendiquent une gare de la ligne 17 Nord du métro automatique du Grand-Paris-Express, au milieu des champs du Triangle de Gonesse, interdit à l’habitat en raison de son positionnement sous les courbes de bruit de deux grands aéroports. Un équipement indispensable au fonctionnement du méga-centre commercial et de loisirs porté par les groupes Auchan et Wanda, qu’ils s’obstinent à présenter comme une réponse aux besoins de transports du quotidien des habitants du territoire. Mais l’actualité récente démontre que les citoyens sont de moins en moins enclins à gober n’importe quelle fable, et à se laisser manipuler par des «faiseurs de rêve».

1ère idée reçue : la gare du Triangle de Gonesse, « seul moyen pour le Val d’Oise d’entrer dans le Grand Paris »

 Cette affirmation totalement erronée, est répétée en boucle par les élus du Val d’Oise, aux côtés de l’ancien président du Conseil Départemental, désormais sénateur M. Bazin qui a fait voter à l’unanimité en octobre 2017 une motion pour réclamer le maintien du calendrier de la ligne (la mise en service de la gare serait reportée de 2024 à 2027 par le Premier ministre) : « Une seule gare du Grand Paris Express sur les 68 prévues desservira le Val d’Oise et celle-ci est planifiée sur le Triangle de Gonesse(1)». Cette gare prétendument « unique », « irremplaçable » serait censée constituer le remède miracle pour résoudre le problème du chômage relativement élevé du territoire (16, 8% à Gonesse, 17,5 % à Goussainville en 2013(2)). « La ligne 17 est essentielle au projet de développement de l’est du département, très défavorisé(1)» affirme encore Arnaud Bazin. Cette « pensée magique » ne tient pas une seconde : comme si accéder au pôle de Roissy dans 12 ans (2 gares programmées en 2030 !) constituait aujourd’hui une réponse crédible à l’urgence des situations des populations précaires !!

Par ailleurs, prétendre que le salut du Val d’Oise se limiterait à la seule desserte du pôle de Roissy traduit une vision réductrice, reflétant une méconnaissance complète de la géographie du département (ce qui est plutôt problématique pour des élus val d’oisiens). En effet, au lieu d’entrer dans le Grand Paris par la petite porte (obtention d’une gare de métro), on peut aussi y entrer par la grande porte, en adhérant à la «Métropole du Grand Paris » (MGP), car en 2015 les candidatures étaient ouvertes aux communes adjacentes à la petite couronne. Rattachement proposé à Roissy, 2ème aéroport européen, pôle métropolitain par excellence, se réclamant « porte d’entrée de la capitale ». Mais cette éventualité a été farouchement combattue par Patrick Renaud, président de la communauté d’agglomération « Roissy-pays de France » et par tout son conseil communautaire, sous des prétextes divers. Visiblement, l’intercommunalité ne souhaite pas partager les retombées financières du pôle aéroportuaire.

La situation est très différente au sud du 95. Lors des discussions préalables à l’élargissement du périmètre de la capitale, Argenteuil, 3ème ville d’Ile-de-France, a demandé et obtenu son rattachement à la MGP. Ainsi, depuis le 1er Janvier 2016, 110 000 habitants du Val d’Oise sont entrés de facto dans le Grand Paris. La commune candidate a été intégrée à l’Établissement Public Territorial T5 intitulé «Boucle Nord 92 », qui correspond à peu près au bassin de Gennevilliers. Venant ratifier une longue tradition d’échanges entre ces deux pôles complémentaires de tertiaire industriel, situés de part et d’autre de la Seine.

Sur la carte jointe (figure 1) du bassin de main-d’œuvre du pôle d’Argenteuil-Bezons, dessinée dans les années 90, on constate l’importance des liens historiques entre les deux rives industrieuses de la Seine, avec des flux d’actifs originaires des deux villes-sœurs localisées rive droite, à destination de la boucle de Gennevilliers et de la Défense élargie, situées sur la rive gauche d’en face.

Figure 1 © J. Lorthiois

Sur la deuxième carte jointe (figure 2), établie en 2012 par le bureau d’études CITEC dans le cadre des études préalables au Contrat de Développement Territorial «Boucle Nord 92»(3), on constate l’apport significatif des travailleurs originaires de la rive droite pour les entreprises du territoire gennevillois, notamment la ville d’Argenteuil qui fournit à elle seule 3500 actifs, sans compter les communes de son aire d’attraction.

figure 2 © CITEC

Comment expliquer alors une telle amnésie de la part des élus du Val d’Oise prétendant que la gare excentrée du Triangle de Gonesse constituerait leur seul espoir de rattachement au Grand Paris (en 2027 ? Et avec quelles garanties d’utilité pour les populations locales?), en négligeant l’existence de 110 000 Val d’oisiens intégrés depuis près de 3 ans dans la Métropole ? Il s’agit là d’une longue tradition du département de mise à l’écart du pôle d’Argenteuil et de son bassin, sans doute en raison de la singularité de sa plus grande ville, à la fois sur le plan urbain (zone agglomérée dense), social (tradition industrielle et ouvrière) et politique (restée en permanence à gauche jusqu’aux années 2000). Un département qui s’est longtemps pensé comme un territoire rural, boosté par deux pôles nouveaux de développement tertiaire, Cergy et Roissy, faisant l’impasse sur les 375.000 habitants de son bassin historique d’Argenteuil et sur la vaste zone résidentielle de la vallée de Montmorency, soit l’oubli de la moitié de la population du Val d’Oise.

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2ème idée reçue : la gare du Triangle de Gonesse est indispensable aux populations actives locales

Rappel des faits. La gare du Triangle – au départ optionnelle –  a été confirmée en 2011, par suite de l’intervention de Vianney Mulliez auprès du président de la République, comme le relate une journaliste de Libération : « Auchan a l’oreille des pouvoirs publics. Propriété de la famille Mulliez, dirigé par Vianney Mulliez, neveu du fondateur Gérard, le groupe mène depuis toujours ses affaires dans la plus grande discrétion. (…) Les Mulliez ont bien compris le jacobinisme du pays et savent, que, pour un projet de cette taille, il faut commencer le démarchage par l’Élysée. Dès le début, Nicolas Sarkozy est enthousiaste(4)» Bien entendu, le groupe Auchan-Wanda qui a impérativement besoin d’une gare pour le fonctionnement d’EuropaCity, brandit l’argument que cet équipement en plein champ desservirait également les populations riveraines.

Or, il est coutume d’évaluer la capacité d’attraction d’une gare de transport en commun lourd (de type métro, RER, SNCF) en comptabilisant les habitants situés dans un rayon de 800 m autour de celle-ci(5). Le Triangle de Gonesse étant interdit à l’habitat (en raison des nuisances des deux aéroports de Roissy au Nord et du Bourget au Sud) et la gare prévue étant située au mieux à 1,7 km des logements les plus proches de la ville de Gonesse (mais à 6 km des plus lointains), la gare du Triangle a beau être située dans le département 95, elle ne présente guère d’utilité pour les résidents val d’oisiens. Au contraire, comme la corde soutient le pendu, le projet EuropaCity ne peut pas fonctionner sans une desserte de métro, mais aussi l’ensemble de la ligne 17 Nord ne peut se justifier sans la réalisation d’EuropaCity, car les autres besoins de trafic sont trop modestes. Dans le tableau ci-après, la DRIEA a évalué, pour les 6 gares prévues, les populations et les emplois desservis. Il convient ici de ne prendre en compte que la ligne 17 Nord, c’est-à-dire reliant la gare du Bourget-Aéroport à celle du Mesnil-Amelot (figure 3). On obtient un total de 70 000 personnes, dont une minorité seulement utiliserait les transports en commun, si l’on en croit la proportion observée chez les travailleurs du pôle de Roissy (10 à 15%), et même pour les 220 000 actifs de l’ensemble du bassin dit du «Grand Roissy» (42%). Or, il faut entre 200 000 et 400 000 flux/ jour pour justifier un transport lourd. Donc, sans la fréquentation prétendue du méga-centre de commerces et de loisirs porté par Auchan, il n’y aurait même pas assez de voyageurs pour alimenter une liaison de type tramway (capacité d’accueil de ceux des Boulevards des Maréchaux à Paris : 200 000 flux/jour).

Figure 3 © DRIEA- Préfecture d’Ile de France

Au total, l’arrêt « Triangle de Gonesse » représente une ardoise d’1 milliard d’euros à la charge du contribuable, dont un coude de 5 kms déviant la ligne 17 Nord le Bourget-Roissy, une gare d’interconnexion et un échangeur avec l’autoroute A1 dont la faisabilité technique sur l’axe le plus saturé d’Europe n’est pas assurée. Un rapport du CGEDD (6) estimait que l’implantation d’EuropaCity ferait passer le temps d’un trajet routier Paris-Roissy de 55 à 90 minutes… Tandis que l’éloignement des zones urbanisées laisserait présager une utilité très faible pour les populations de Gonesse, Arnouville ou Villiers-le-Bel. Ce coude ne serait pas sans conséquence, puisque la ligne d’abord en souterrain, devrait affleurer en surface à l’est de la gare du Triangle, avant d’effectuer le franchissement de l’autoroute A1 par un énorme viaduc en direction du Parc international d’expositions (PIEX) de Villepinte. Pourrait-on éviter un tel surcoût par un tracé plus direct ? Économiser la desserte du Triangle pourrait peut-être permettre d’atteindre Roissy dès 2027 et non 2030…

Le Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG) a proposé un tracé alternatif de la ligne 17, ayant son embranchement avec la ligne 16 à la gare d’Aulnay/ Europe (carte figure 4). Ce qui présenterait l’avantage de structurer les deux lignes de métro 16 et 17 autour de la ville-centre d’Aulnay-sous-Bois (82 000 habitants) et de desservir les zones d’habitat de ses quartiers nord, éloignés du RER B. Rejoignant directement le Parc des Expositions, on économiserait ainsi 1 milliard de fonds publics consacrés à la desserte du Triangle et on éviterait un imposant ouvrage d’art sur l’autoroute A1.

Figure 4 © Collectif Pour le Triangle de Gonesse (CPTG)

Par ailleurs, la programmation régionale de transports en commun lourds ne se limite pas à la seule réalisation du Grand-Paris-Express. Il existe aussi un «Plan de Mobilisation de la région Ile-de-France» qui prévoit des lignes complémentaires. Et notamment le bouclage du tram-train 11 express plus connu sous le nom de “Tangentielle Nord” dont un seul tronçon Épinay-sur-Seine /le Bourget est actuellement en service (voir carte figure 5). Fonctionnant exclusivement en aérien, utilisant un tracé existant (ancienne Grande Ceinture) il suffirait de 800 millions pour 17 kms (dont 7,5 kms dans le Val d’Oise), dans des délais bien plus courts. Son achèvement permettrait la réalisation du tronçon ouest Sartrouville/Argenteuil/Épinay-sur-Seine, et du tronçon est vers Noisy-le-Sec. L’ensemble de la ligne 11 express desservirait 627 000 habitants, dont 27 quartiers de renouvellement urbain classés ANRU. Côté ouest, le tronçon traverserait des zones du Val d’Oise fortement urbanisées, avec deux gares remarquablement situées, l’une au cœur d’un des plus grands quartiers sensibles d’Ile-de-France, le Val d’Argent (50 000 habitants) et l’autre en plein centre-ville d’Argenteuil.

Figure 5 © BD -IAURIF

Dernier avantage : une liaison banlieue/ banlieue restant sur la même rive droite de la Seine, permettrait d’éviter deux traversées du méandre du fleuve formant goulot d’étranglement (dénoncé par les élus du Val d’Oise, qui réclament l’accélération des travaux de consolidation du pont autoroutier de Gennevilliers, dont un mur de soutènement s’est effondré).

La comparaison est sans appel : d’un coté on persiste à vouloir investir un milliard de fonds publics pour desservir le Triangle de Gonesse au bénéfice d’un projet privé et zéro habitant dans un rayon de proximité ; de l’autre on néglige un investissement de 800 millions pour achever le tram-train 11 express d’une capacité de 150 000 voyageurs/ jour, facilitant la vie de plus de 600 000 habitants dont 110 000 Argenteuillais, sans compter les dizaines de milliers d’habitants de son aire d’influence.

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3ème idée reçue : la gare du Triangle de Gonesse permettrait – enfin ! – aux habitants du Val d’Oise d’accéder aux emplois de Roissy

Un des arguments majeurs pour justifier cette gare, est qu’actuellement il faudrait aux habitants de l’est du Val d’Oise « passer par Paris pour aller à Roissy ». Tel est le leitmotiv des promoteurs d’EuropaCity, repris par la plupart des élus du département. En témoigne l’article de son directeur général, Benoit Chang, en réponse à une tribune de personnalités exprimant leur opposition à EuropaCity, paru dans Libération en décembre 2017. Bien que s’intitulant «sortir de l’hypocrisie et de la caricature », il tombe lui-même dans les “fake news” en déclarant : “Le projet EuropaCity permettra de désenclaver et d’apporter des emplois pour les habitants du territoire. La décision d’EuropaCity d’aller à Gonesse, en 2011, a immédiatement débloqué le projet de la gare de Gonesse, sur la ligne 17 du futur Grand Paris Express. Depuis des décennies, les habitants ne peuvent accéder aux zones d’emploi, celles de Roissy en priorité sans faire plus d’une heure et quart de trajet. En quelques minutes, ils seront bientôt à Roissy ou La Défense, deux des principaux pôles économiques de développement du Grand Paris.(7)

Cette déclaration, bien que réclamant de «sortir de la caricature», constitue elle-même un tissu de contre-vérités. A en croire son auteur, EuropaCity serait un projet quasiment «caritatif » destiné à faciliter la vie des habitants, alors que la situation excentrée de la gare n’est guère en mesure de fournir les services prétendus aux populations. L’affirmation que les résidents de l’est du Val d’Oise seraient obligés de prendre le RER D jusqu’à la gare du Nord, pour remonter ensuite via le RER B jusqu’à Roissy pour aller y travailler (soit une heure et quart de trajet), est totalement mensongère, puisqu’une nouvelle ligne de bus n°20, aux ¾ en site propre, a été inaugurée (par le président du département !) dès septembre 2016, effectuant une liaison interdépartementale en moins d’une demi-heure. Cette affabulation a pourtant été reprise dans une publicité largement diffusée dans les médias le 17 Octobre 2017 (figure 6), venant appuyer quelques jours plus tôt une manifestation devant Matignon d’élus du 95, 93 et 77, qui réclamaient le «maintien du tracé et des délais» de la ligne 17 Nord. L’image reprend en exergue une phrase d’un discours d’Emmanuel Macron à Bobigny, le 16 novembre 2016 : « La France des quartiers est aujourd’hui assignée à résidence, alors qu’elle veut réussir »… Et une jeune fille en gros plan interpelle le chef de l’État : « Monsieur le Président, sans la ligne 17, on va surtout réussir à échouer». Le texte d’accompagnement reprend encore la même fable : « Nous vivons une discrimination territoriale qui nous empêche de rejoindre une ville voisine sans passer par les gares parisiennes. »

Figure 6 © BFM

En réalité, avant l’ouverture de la nouvelle ligne de bus n° 20 en septembre 2016, on comptait déjà trois offres de transports en commun desservant l’aéroport Charles-de-Gaulle :

    1. le bus 23 empruntait un itinéraire partant de la gare RER D « Villiers-le-Bel / Arnouville / Gonesse » (Val d’Oise), jusqu’à la gare «Parc des Expositions » (Villepinte, Seine-Saint-Denis), permettant d’atteindre ensuite Roissy via le RER B en une station, soit 50 minutes au total ;
    1. le bus 22 permet d’aller directement à Roissy via le CD 902, en une trentaine de minutes (voir carte figure 7) ;
  1. un système de « bus à la demande » intitulé Filéo (voir carte figure 8), avec une offre 24 H /24 et 7j /7 constitue un mode de transport particulièrement adapté aux caractéristiques des emplois de Roissy, dont 70% sont « postés », c’est-à-dire fonctionnant en continu.

Figure 7

Figure 8 © Keolis

Relevons au passage cette affirmation ne tenant pas debout de M. Chang à propos de La Défense qu’on atteindrait avec le Grand-Paris-Express « en quelques minutes» ! A supposer que ce réseau soit réalisé en totalité en 2030 (ce qui n’est pas garanti), il faudrait se rendre en bus jusqu’à la gare de la ligne 17 Nord, emprunter la ligne 17 sud pour effectuer un nouveau changement au hub de Saint-Denis Pleyel, afin de récupérer la ligne 15 vers la Défense. Rien que les deux transbordements supposent davantage que quelques minutes! Et même si le temps de trajet était aussi court que le prétend le directeur général d’EuropaCity, de toutes façons la liaison avec la Défense présente un intérêt quasi nul pour les actifs du Grand Roissy : ils ne sont que 2,6% à y travailler… réduits à 1% utilisant les transports en commun (tous confondus)!

Le permis de construire de la gare du Triangle de Gonesse (validé par le préfet du Val d’Oise le 14/09/2018 et faisant actuellement l’objet d’un recours juridique) prévoit une interconnexion, accueillant à la fois la radiale du métro 17 Nord le Bourget-Roissy et un axe ferroviaire en rocade intitulé “barreau de Gonesse” (figure 9) assurant la liaison entre les deux gares RER D Villiers-le-Bel / Arnouville / Gonesse (95) et RER B Parc des expositions (93), rejoignant Roissy via le RER B en une station (5 minutes). En 2008, le projet de barreau ferroviaire était soutenu par N. Sarkozy et le président du Conseil régional J.P. Huchon et devait bénéficier d’un financement « Plan Espoir Banlieue ». Le Collectif CPTG avait alors vivement critiqué cet axe ferroviaire non justifié.

Figure 9 © RFF

Dans un premier temps, le STIF (8) a décidé de financer un «Bus à Haut Niveau de Service» (BHNS) censé préfigurer ce barreau dès 2014. La liaison ferroviaire restait programmée pour 2017, inscrite au Contrat de Plan État-Région pour 200 millions. Le CPTG favorable à ce BHNS, avait toutefois proposé un tracé plus au sud (voir carte aérienne ci-après) longeant le Boulevard Intercommunal du Parisis (BIP), pour éviter la traversée d’une route en plein cœur des terres agricoles. Cette solution alternative fut refusée, au motif qu’elle allongeait la durée du trajet de 3 minutes.

© CPTG

Finalement, en sept 2016, le BHNS intitulé « ligne 20 » est inauguré. Le Conseil Départemental a assuré la maîtrise d’ouvrage de la nouvelle ligne. Prévue pour 7200 voyageurs/jour, elle a coûté 34,5 millions € pour l’infrastructure et 6,2 millions € pour le matériel roulant(8). Le BHNS possède exactement le même tracé que le barreau de Gonesse et a pour fonction de connecter les deux RER en 30 minutes – grâce à un parcours en site propre sur 76% de son trajet -, reliant ainsi le Val d’Oise à la Seine-Saint-Denis. D’où la modification de l’itinéraire du bus 23 qui se dirige désormais vers Aulnay-sous-Bois /RER B.

Toutefois, constatons, après deux ans de mise en service, que le BHNS n’assure guère la fonction de transit (qui consiste à relier rapidement deux pôles ensemble, ici assurer le « lien RER B et D ») prévue entre les deux départements 95 et 93, censée d’après les élus du Val d’Oise «permettre aux actifs de l’est du département d’accéder aux emplois de Roissy», car en réalité très peu d’usagers empruntent la ligne dans toute sa longueur. Le bus traverse quasiment à vide le Triangle de Gonesse (5 ou 6 voyageurs dans une voiture de 80 places). Par contre, le BHNS remplit deux fonctions de desserte (mailler le territoire par des liaisons de proximité) séparées, aucunement prévues par ses promoteurs (figure 10) : côté Val d’Oise, il effectue du cabotage entre les différentes stations du centre-ville de Gonesse (avec une destination privilégiée : l’hôpital) ; et côté Seine-Saint-Denis, il permet aux habitants de Villepinte ou d’Aulnay-sous-Bois de fréquenter les zones d’activités (notamment la zone commerciale de Paris Nord 2, avec Ikea, Usine Center, Leroy-Merlin et Castorama).

Figure 10 © J. Lorthiois

Comme l’avait prédit le CPTG lors du Débat Public en 2016, le rapport du « Comité d’Évaluation de l’amélioration de l’offre de transport en Ile-de-France » paru en 2017, fait état pour la ligne 20 d’un flux de 4 à 4500 voyageurs/jour, soit 1 à 2% de la fréquentation nécessaire pour justifier un transport ferroviaire lourd (200 000 à 400 000 flux/jour). Ainsi, le temps de parcours total n’excède pas 23-25 minutes (au lieu des 30 prévues !). On constate donc a posteriori que la demande du CPTG de longer le BIP qui prenait 3 minutes supplémentaires était parfaitement acceptable et évitait la traversée d’une route en plein champ… Cette faible fréquentation, ainsi que le rapport de la Cour des comptes sur l’explosion des coûts du Grand-Paris-Express expliquent sans doute la position du vice-président du Conseil Régional d’Ile-de-France, Stéphane Beaudet (LR) qui a annoncé dans la presse l’abandon de ce barreau en Juin 2018 : “ Il y a dans toute la région des milliers de projets qui ne se feront jamais », tranche M. Beaudet. Il faut parfois sonner la fin des rêves (..). Parmi ces projets désormais enterrés figurent le « barreau de Gonesse », le prolongement de certaines lignes de métro ou des téléphériques « là où on peut faire passer un bus pour beaucoup moins cher ». (9)

Dans la version révisée de 2017 du Contrat de Plan État-Région 2015-2020, le texte fait toujours mention du barreau de Gonesse, mais dans les tableaux, aucun financement ne lui a été attribué. Dans ces conditions, le projet de barreau ferroviaire de Gonesse n’a guère de chance d’être réalisé. Tout ceci démontre l’inutilité d’une liaison ferrée est-ouest à hauteur de Gonesse/Villepinte et plaide en faveur d’un scénario de transports en commun légers, sans le lien RER B/RER D. C’est pourquoi la gare d’interconnexion du Triangle stipulée dans le permis de construire, d’un coût deux fois plus élevé (100 millions €) qu’une gare simple, ne présente aucune justification.

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4ème idée reçue : les gares de la ligne 17 Nord désenclaveraient les habitants du Grand Roissy

Force est de constater que l’ensemble de la ligne 17 Nord ne dessert que des pôles d’emplois entre eux (Le Bourget, Triangle de Gonesse, Parc d’Expositions de Villepinte, Roissy aéroport, sans compter le développement escompté de la commune de 800 habitants du Mesnil-Amelot), ce qui représente une partie infime des besoins des populations. La dernière Enquête Globale des Transports Ile de France (EGT 2010) estime les liaisons entre pôles d’emplois à 3% de la demande régionale. La fonction essentielle des transports en commun étant de relier des bassins d’habitat à des pôles d’activités, car les liaisons domicile-travail sont les plus contraintes (heures de pointe qui conditionnent leur capacité), les plus distantes (11) et les plus coûteuses en finances et en temps.

Nous allons examiner successivement les cartes des bassins de main-d’œuvre (indiquant les principaux lieux de destination des travailleurs résidant dans une commune) des deux principales villes du Val-d’Oise qui soi-disant utiliseraient la gare du Triangle : Gonesse et Villiers-le-Bel. Nous éliminons par avance les habitants de Goussainville, commune qui jouxte Roissy et fournit le plus grand nombre de travailleurs au pôle aéroportuaire (10,7 % de sa population active occupée), car ceux-ci n’ont aucun intérêt à rejoindre une gare située à 5 kilomètres au sud, alors que le bus 95.18 Cergy–Roissy s’arrête à trois reprises à Goussainville et permet d’accéder directement aux différents pôles d’activités de l’aéroport (zone d’entretien, zone technique, Roissy-pôle), avant d’arriver à la gare du RER B.

Cas de Gonesse

A la différence des 19 autres communes du Grand Roissy, il s’agit d’une commune excédentaire en emplois, avec 14 900 postes en 2013, contre 10 400 actifs occupés (12400 en adjoignant les chômeurs). Pourtant, elle représente le cas typique d’une «ville dissociée», car les métiers offerts par les activités implantées sur son territoire ne correspondent que dans un cas sur 10 aux métiers exercés par les travailleurs résidants. Ainsi chaque jour, 12 000 actifs viennent de l’extérieur occuper des postes locaux, tandis que 7500 Gonessiens partent exercer leur activité ailleurs, comme le montre le graphique joint (figure 11)

Figure 11 © J. Lorthiois

Sur la carte du bassin de main-d’œuvre de Gonesse ci-dessous (figure 12), on observe que si 3000 actifs travaillent dans leur commune (29 %), ils ne sont que 700 à occuper un emploi à Roissy, moins de 7 % des travailleurs en activité. On peut rajouter à ce total la centaine d’actifs vers Tremblay-en-France. Pour ceux qui n’ont pas de véhicule, trois bus sont à leur disposition en 30 à 40 minutes. Où partent les autres Gonessiens? 10,4 % vers l’aire urbaine appelée anciennement « Val de France » : Arnouville, Villiers-le-Bel desservis par le bus 20 côté Val-d’Oise ; ou encore Sarcelles, Garges-lès-Gonesse avec une desserte existante en bus et le RER D qui demanderait des améliorations peu coûteuses. Les 182 actifs qui vont vers Aulnay-sous-Bois peuvent utiliser le bus 23. Le RER D permet de rejoindre Saint-Denis, mais surtout 11 arrondissements de Paris pour 1400 gonessiens dont 40 % vers le Quartier Central des Affaires (QCA : Saint-Lazare / Étoile / Batignolles).

Figure 12 © J. Lorthiois

Pour conclure sur le cas de Gonesse, on voit bien que l’amélioration de l’offre de transports avec la gare Triangle serait d’une très faible utilité pour les Gonessiens. Elle pourrait même les pénaliser, car les réseaux fonctionnant dans les deux sens, on constate des à présent à l’heure de pointe du matin des flux d’actifs débarquant à la gare du RER D (dans des conditions de confort bien meilleures, à contresens des trains bondés) et venant travailler à l’hôpital par exemple, en concurrence avec une main-d’oeuvre locale moins qualifiée et moins mobile. Situation paradoxale : Gonesse bien qu’excédentaire en emplois possède toutes les caractéristiques d’une commune dortoir, notamment avec un taux de chômage (16,8 %) à peine inférieur à celui de Goussainville (17,5 %) qui dispose de deux fois moins d’emplois que d’actifs. Et les gonessiens subissent une double peine : la faible présence des populations dans la journée entraîne un développement médiocre d’emplois dits «présentiels» (liés à la présence d’habitants sur place : petits commerces, artisanat, services à la personne, emplois publics, économie sociale et solidaire). Il est donc illusoire d’implanter toujours plus d’activités décalées avec les compétences et qualifications des résidents. Exactement le cas du pôle d’emplois ultra-spécialisé de Roissy, ou des grands équipements métropolitains de type EuropaCity ou Disneyland, comme nous l’avons démontré chapitres 3 et 4.

Cas de Villiers-le-Bel

Cette fois-ci, il s’agit d’une commune-dortoir au sens concret du terme, fortement déficitaire en emplois (5900) par comparaison avec la population active occupée (9800), a fortiori en rajoutant les chômeurs (12 200), soit 2 actifs pour un emploi. Sur la carte du bassin de main-d’œuvre jointe (figure 13), on constate la faible attraction du pôle de Roissy qui n’occupe que 5,6% des actifs occupés : les travailleurs venant en transports en commun sont desservis correctement par 3 lignes de bus dont un BHNS. Les habitants qui travaillent à Gonesse peuvent utiliser la ligne de bus 20 côté Val d’Oise. Certains des actifs vers Arnouville peuvent même s’y rendre à pied. Mais les plus gros flux se dirigent vers le Sud, à commencer par Sarcelles, pôle principal de rattachement de proximité (5,8% des travailleurs Beauvillésois), auquel on peut adjoindre les destinations de Garges-lès-Gonesse et Saint-Denis, via le RER D. Mais surtout, on constate que 12% des grands flux rejoignent Paris, avec un record de 400 personnes vers Saint-Lazare. C’est pourquoi le prolongement de la ligne 14 jusqu’à Saint-Denis-Pleyel serait fort utile aux Beauvillésois. De même, la prolongation du tramway T5 Sarcelles-Villiers-le-Bel pourrait consolider les liens entre ces deux villes, qui forment une même continuité urbaine. Par contre, il n’y a aucune justification pour les Beauvillésois ni du barreau de Gonesse, ni de la gare du Triangle et plus généralement de la ligne 17 nord. A l’inverse, l’achèvement du tram-train intitulé 11 express pourrait offrir de nouvelles opportunités aux habitants.

Figure 13 © J. Lorthiois

Au niveau de Grand Roissy

Les élus du Val d’Oise s’entêtent à défendre la création d’une offre entre les deux départements 95/93 à hauteur de Gonesse, de direction est-ouest. La demande existe, mais beaucoup plus au Sud, à hauteur de Sarcelles / Garges-lès-Gonesse et elle est plutôt dirigée nord-est/sud-ouest (voir figures 12 et 13) ! En ce qui concerne les besoins du grand Roissy, on constate sur la carte jointe (figure 14) que le cœur de pôle (dont Gonesse) concentre un excédent très important d’emplois, et tout autour, sont disposées en couronne des communes déficitaires en bleu, totalisant un manque quantitatif de 150 000 postes. A l’échelle du grand territoire, les excédents et déficits sont équivalents à 2 % près. Mais on voit bien que cet équilibre apparent cache d’importants besoins d’activités nouvelles dans la zone dense au sud et à l’ouest et non dans la partie nord du bassin de Roissy.

Figure 14 © J. Lorthiois

Pourtant, il est prévu d’ici 2030 un accroissement de 130 000 emplois essentiellement localisés sur les sites en rouge, dont l’urbanisation du Triangle de Gonesse et le développement du pôle de Roissy, défendant un concept de «ville aéroportuaire» totalement dépassé avec la crise climatique : ce ne sont pas dans les zones les plus nuisantes qu’il faut concentrer le maximum de travailleurs et de visiteurs ! Par ailleurs, il est prévisible que ces grands projets localisés au nord engendreraient dans la couronne bleue des concurrences d’activités débouchant sur des suppressions d’emplois, notamment à Aulnay-sous-Bois, la ville d’en face, principal pôle urbain du bassin, pouvant entraîner dans son déclin des communes adjacentes comme Blanc-Mesnil ou Sevran. On comprend donc les réticences vis-à-vis d’EuropaCity du maire et président de la communauté d’agglomération «Terres d’envol» Bruno Bechizza et de l’association locale d’habitants et de petits commerçants « Europasdutout ». Les activités pressenties du Grand Roissy montrent une structuration très spécialisée des métiers, identique à la situation de l’emploi et des qualifications décrite dans les chapitres 3 et 4, que ne peuvent en aucun cas corriger les équipements de transports mis en place. C’est pourquoi la proposition alternative de relocaliser des emplois de proximité dans les centres urbains correspond beaucoup mieux aux besoins des populations et aux compétences de la main-d’œuvre locale. C’est la seule réponse appropriée à un développement soutenable et durable du territoire.

Conclusion

A travers l’analyse de ces quatre idées reçues, dont on a prouvé l’inanité tout au long de ces pages, on démontre le gâchis provoqué par une décision insuffisamment étudiée et une vision obsolète d’aménagement du territoire qui se traduit par un accroissement général des inégalités entre habitants, entre communes et entre les deux départements 95 /93. Les investissements inutiles voire nuisibles d’un projet de type Europacity, mais aussi d’un pôle de bureaux en plein champ dans le Triangle de Gonesse, en déconnexion avec les villes adjacentes, ne peuvent qu’exacerber les rivalités et concurrences, et détruire le tissu urbain local. Dans ces conditions, une réponse transports apparaît dérisoire pour réparer l’explosion des inégalités territoriales et sociales, elle peut même permettre leur aggravation, en repoussant les problèmes sans les résoudre.

L’actualité récente de la révolte des gilets jaunes fait ressortir à quel point les politiques de transports, convoquées pour réparer l’absence d’emplois sur place est une impasse, si l’on ne remet pas complètement en cause l’organisation du territoire, où se côtoient d’un côté des sites d’activités dépourvus d’habitant, de l’autre des villes sans âme, mono-fonctionnelles, qui n’offrent pas la pluralité des fonctions nécessaires à la vie quotidienne de ses résidents. Se loger, se nourrir, travailler, se détendre… doit pouvoir «se vivre au pays» dans un espace de proximité. A l’inverse d’une politique de concentration sur quelques «pôles d’excellence» qui cumuleraient les emplois, les activités et les richesses, transformant les territoires environnants en lieux de relégation désertés par les services, où loge une main-d’œuvre corvéable, à qui n’est proposé que la «galère des transports» pour trouver un employeur.

Ainsi, les meilleures destinations sont celles qui sont localisées à proximité et qui ne sont pas contraintes, mais choisies !

Et le meilleur transport, le moins coûteux, le moins polluant, le moins consommateur de temps et le plus agréable… est celui qu’on économise…

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(1) « Gonesse : inquiétudes autour du chantier de la ligne 17 du Grand-Paris-Express », in Le Parisien, 1er octobre 2017.

(2) Qui est toutefois loin d’atteindre les records de 23% à Sevran, ou de 24,4% à Clichy-sous-Bois…

(3) Ateliers Lion et associés – DTZ consulting – CITEC – J. Lorthiois, Contrat de Développement Territorial Boucle Nord 92, 2012.

(4) Sibylle Vincendon, « EuropaCity, un colosse aux pieds fragiles », in Libération, 13 sept 2016.

(5) Source DRIEA/ Préfecture de Région Ile de France.

(6) Source : Rapport du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) sur « L’Aménagement de la zone du Grand Bourget », novembre 2016.

(7) Cf. http://www.europacity.com/fr/actualites/sortir-de-lhypocrisie-et-de-la-caricature

(8) Syndicat des Transports d’Ile-de-France devenu depuis Ile-de-France Mobilités.

(9) Source : Ile de France Mobilités 2016.

(10) Source : « RER, trains de banlieue : la région promet du sang et des larmes », blog d’Olivier Razemon du 14 Juin 2018, in Le Monde.fr

(11) Moyenne en Ile-de-France de 15 kms aller (en augmentation), contre 3 ou 4 kms pour les autres déplacements (en diminution).