Les charlatans du Triangle de Gonesse : Nicolas Bouzou, l’économiste médiatique et vénal
Si le premier épisode était consacré au haut-fonctionnaire Jean-François Carenco plus défenseur du groupe Auchan que de l’intérêt général (cf. L’Écho du Triangle du 24.07.2023), ce deuxième épisode de la série sur les charlatans du Triangle de Gonesse est consacré à Nicolas Bouzou, l’économiste qui prodigue ses conseils en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes.
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Nicolas Bouzou, promoteur zélé d’EuropaCity
Parmi la horde des personnalités médiatiques recrutées par Immochan (devenu Ceetrus), la filiale immobilière du groupe Auchan, pour vanter les mérites d’EuropaCity au 1er semestre 2016 lors du débat public consacré à ce projet, figurait l’économiste Nicolas Bouzou.
Avec son confrère Pierre Bentata (« économiste, directeur-fondateur de Rinzen Conseil »), N. Bouzou (« économiste, directeur-fondateur d’Asterès ») a rédigé un document de 37 pages (dont 6 pages d’« Annexe technique ») intitulé « EuropaCity, Analyse économique du projet ». En pages 3 et 4 du document, la « synthèse opérationnelle » est un condensé en trois points des arguments dithyrambiques retenus pour vanter ce « projet innovant », « cluster de loisirs qui accompagne l’évolution des modes de vie » :
– « 1/ Une opportunité pour le Nord-Est francilien », incluant le refrain sur « l’enclavement du territoire » ;
– « 2/ Une prise en charge par un nouvelle forme de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences » avec le leurre de la formation privée payée par EuropaCity qui « soulagera les budgets des administrations » ;
– « 3/ Un gisement d’emploi », mirage des créations d’emplois que devait générer EuropaCity (« nos études économétriques réalisées sur l’Ile-de-France montrent que l’ouverture de centres commerciaux et de grandes surfaces a toujours entrainé une augmentation nette de l’emploi »), même si les deux auteurs reconnaissent que le projet est flou (« un projet innovant et évolutif ») et qu’« il est difficile d’évaluer précisément le nombre d’emplois qu’EuropaCity engendrera ».
Les affirmations martelées comme des évidences, telles que « Sa situation géographique idéale et son caractère innovant feront d’EuropaCity un véritable cluster » et « Cette double mutation [mutation économique et géographique, ndlr] (…) recentre l’activité et la richesse des territoires vers les métropoles. » n’ont pas résisté à la pandémie de Covid-19. Le mot « cluster » a pris un sens épidémiologique et les métropoles ont été les lieux où les confinements successifs étaient les plus durs à vivre.
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Nicolas « Bouzouka », défenseur acharné d’EuropaCity
Comme à la fin du débat public les arguments des opposants à EuropaCity commençaient à être entendus, N. Bouzou a publié le 9 juin 2016 sur un blog hébergé par le Huffington Post un article intitulé « En banlieue, EuropaCity, un projet pour booster l’emploi des jeunes » où il s’en prend au Collectif pour le Triangle de Gonesse (CPTG), auquel il reproche son « mépris aristocratique pour les populations locales » et sa prétendue volonté de laisser EuropaCity s’implanter dans une zone plus riche. Quand il s’agit de défendre un de ses clients, N. Bouzou est prêt à troquer la rigueur scientifique contre l’argumentation facile et de mauvaise foi.
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En 2018 Nicolas Bouzou travaille aussi pour E. Leclerc dans les Bouches-du-Rhône
Pas découragé des faibles retombées de son travail pour Immochan dans le dossier EuropaCity, N. Bouzou retravaille pour la grande distribution deux ans plus tard. Son client est l’enseigne E. Leclerc qui depuis 2013 cherche à implanter un supermarché sur une parcelle de 21 000 m2 installée en plein cœur de la zone d’activité économique, située au pied de la ville perchée d’Eguilles (Bouches-du-Rhône). Le maire de la commune, Robert Dagorne, préférant construire des logements sociaux sur la même parcelle, Nicolas Caylet, entrepreneur indépendant adhérent au mouvement E. Leclerc, lance une vaste campagne de communication avec pétition et documents explicatifs (distribués dans les 3 600 boîtes aux lettres d’Eguilles) à la clé.
Comme expliqué dans l’article « Eguilles, le supermarché et l’opération de com’ qui veut tout changer » de Laurence Bottero publié le 05.04.2018 par l’édition locale de Marseille de La Tribune, « Nicolas Caylet veut croire au dialogue, mettant par ailleurs en avant l’étude menée en mars dernier qui dit-il confirme l’intérêt des habitants pour le projet. ». L’étude en question, intitulée « PROJET E. LECLERC EGUILLES / Evaluation des retombées économiques de l’installation d’un supermarché » et datée d’avril 2018 est signée des mêmes auteurs Pierre Bentata et Nicolas Bouzou que celle relative à EuropaCity. Elle présente le projet d’E Leclerc comme une solution pour « lutter efficacement contre la perte d’attractivité de la commune dans son ensemble » et déclare qu’il aura « un impact négligeable sur les supermarchés existants ». Il s’agit des arguments habituels des promoteurs de nouvelles surfaces commerciales, ressortis même en période de suroffre commerciale…
En tout cas, la stratégie de communication de N. Caylet ne passe pas inaperçue puisque la journaliste Olivia Détroyat du Figaro lui consacre l’article « Un adhérent Leclerc s’offre d’éminents économistes pour son supermarché » publié le 10.05.2018 avec N. Bouzou en photo et le chapô « Nicolas Caylet, un entrepreneur local, a demandé une étude d’impact au cabinet d’études économiques de Nicolas Bouzou. » La journaliste conclut son article avec prudence : « Le verdict est suffisamment tranché pour que l’entrepreneur fasse de l’économiste et du co-auteur de l’étude, Pierre Bentata, ses porte-drapeaux d’un jour, via un communiqué. Un site dédié a aussi été créé. Trop tôt pour dire si ces ambassadeurs d’un jour feront pencher la balance, mais un acteur ne partagera à l’évidence pas cet enthousiasme: le Carrefour Market voisin, situé à trois minutes du potentiel supermarché. »
Le communiqué de presse des « portes-drapeaux d’un jour » est daté du 9 mai 2018 et intitulé « Nouvelle étude économique : Nicolas Bouzou et Pierre Bentata, économistes de renom, livrent leur analyse sur l’impact économique et social lié à l’implantation d’un supermarché sur une commune de moins de 10 000 habitants ». Il est même complété de la vidéo « Nicolas Bouzou – Pourquoi il faut soutenir le projet ? » sur le site Internet dédié au projet de supermarché.
Résultat des courses : en mars 2019 la cour administrative de Marseille a donné deux fois raison à la commune d’Eguilles : « D’abord en annulant l’avis favorable de la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) faute d’un dossier prenant en compte le risque d’inondation. Puis comme le signale La Provence, en rejetant la requête du porteur du projet, qui reprochait à la mairie d’avoir préalablement gelé toute évolution sur ce terrain en attendant le plan local d’urbanisme (PLU) alors en cours d’élaboration. Pour empêcher l’implantation du Leclec, la mairie d’Eguilles a modifié le PLU pour prévoir sur le site visé par le supermarché une opération “mixte” avec 50 % de logements sociaux, la commune étant en carence dans ce domaine. » (source : article « Deux revers en justice pour le projet de Leclerc à Éguilles » de Rémi Baldy du 25.04.2019 ; voir aussi ici). Le site Internet http://www.e-leclerc-eguilles.fr n’est plus actif.
A Gonesse avec EuropaCity comme à Eguilles avec E. Leclerc, les études de N. Bouzou ne font pas le poids face une analyse solidement argumentée et fondée en droit des projets d’urbanisme commercial.
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Nicolas Bouzou, s’offre une polémique (de plus) en travaillant pour Uber !
La dernière « affaire » où N. Bouzou s’est illustrée est nettement plus grave. Elle est expliquée dans l’article « Universitaires ou lobbyistes ? Des économistes rattrapés par leurs contrats avec Uber » d’Adrien Sénécat publié en ligne par Le Monde le 13 avril 2023 avec le chapô « Nicolas Bouzou et Augustin Landier ont défendu récemment leur travail pour l’entreprise face à la commission d’enquête parlementaire sur les « Uber Files ». « Le Monde » publie de nouveaux documents qui contredisent certaines de leurs déclarations. » Le journaliste annonce d’entrée la couleur : « Économistes ou lobbyistes ? Nicolas Bouzou, Augustin Landier et David Thesmar ont tous les trois été rémunérés par Uber pour étudier les effets de la plateforme de véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) sur l’économie française. »
D’après Le Monde le travail des économistes, dont N. Bouzou, n’aurait pas été réalisé en « totale indépendance » comme ils l’ont récemment affirmé à la commission d’enquête parlementaire sur les « Uber Files » : « Le fait que des entreprises privées puissent rémunérer des experts pour rédiger des analyses est connu. Mais l’enquête publiée en juillet 2022 par Le Monde et ses partenaires du consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a dévoilé les coulisses de ce marché de l’expertise, notamment à partir des échanges entre Uber et les économistes concernés. Face aux dénégations des intéressés, Le Monde publie de nouveaux extraits de ces documents, qui témoignent d’une démarche plus orientée qu’ils ne le prétendent. »
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Conclusion : Nicolas Bouzou, économiste illusionniste ?
Dans le roman « Les Illusions perdues », Balzac fait dire au journaliste Lousteau que “Pour le journaliste, tout ce qui est probable est vrai. Nous partons de là.”. Les études économiques de Nicolas Bouzou n’obéiraient-elles pas à la même logique ? Si au XIXe siècle pour Lousteau « un journaliste est un acrobate », au XXIe siècle pour N. Bouzou un économiste serait-il un illusionniste ?